Le jeune Jean-Jacques Keusch avait 22 ans quand il a repris la petite exploitation familiale au coeur de
Boesenbiesen. C'était en 1983. « J'ai fait une carrière avec les quotas », sourit l'agriculteur, également premier adjoint au maire du petit village du Ried.
Les quotas laitiers ont été instaurés par l'Union européenne en 1984, dans le but d'en finir avec la surproduction en Europe, qui plombait les prix (voir DNA du 29 mars). Jean-Jacques se rappelle que la mise en place du dispositif « avait beaucoup de mal à passer à l'époque, puis les gens se sont aperçus que ça leur garantissait un revenu ».
« Là où ça peut changer pour moi, c'est si le prix bouge »
En reprenant la ferme au sein de laquelle son père produisait 40 000 litres de lait par an, Jean-Jacques a décidé d'orienter davantage son activité vers la production de lait, signant alors avec la laiterie un contrat basé sur « trente vaches à 6 000 litres », soit un volume annuel de 180 000 litres. « A l'époque, une vache qui produisait 6 000 litres, c'était déjà beaucoup... Aujourd'hui on arrive facilement à 8 000 ou 9 000 litres... Ça, c'est surtout grâce à la génétique », lance Jean-Jacques.
En trois décennies, tandis que les quotas limitaient la production, croisements et sélections des animaux permettaient d'obtenir des vaches laitières plus performantes. Dans le même temps, le nombre d'éleveurs (environ 400 aujourd'hui) a été divisé par dix dans le Bas-Rhin. « Mais il n'y a pas moins de lait ! » lâche l'agriculteur, qui au milieu de ses 45 vaches (25 laitières et une vingtaine de génisses qui les remplaceront un jour) n'a l'air ni vraiment pour, ni vraiment contre la fin des quotas.
La possibilité désormais de produire du lait autant qu'il le veut sans risque de pénalités va-t-elle bouleverser l'activité de Jean-Jacques ? « Pour moi, ça ne changera pas grand-chose, je ne vais pas me lancer dans une augmentation de ma production... J'ai un rythme de croisière, et ce n'est pas en doublant la taille de mon exploitation que je vais faire exploser mes revenus », remarque celui qui estime avoir toujours gagné correctement sa vie grâce à son métier, à part « les premières années un peu difficiles après pas mal d'investissements ».
« Là où ça peut changer pour moi, c'est si le prix bouge », ajoute Jean-Jacques. Une hausse du volume de production est attendue en Europe et si la demande ne suit pas, le marché va logiquement faire chuter le cours du lait. Face à ce risque, des éleveurs ont pris le parti d'en faire plus pour gagner plus (ou perdre moins). « Certains veulent produire plus, pour eux la fin des quotas est une bonne chose. Mais ça risque de faire baisser les prix... Pour l'instant, je reste prudent, on verra ce que ça donnera dans trois ou quatre ans. Quand j'entends que certains veulent doubler leur production... Tant qu'il y aura de la demande, ça ira. »
S'il n'y a plus de quotas, Jean-Jacques a tout de même signé un contrat basé sur un volume avec la coopérative qui vient tous les deux jours collecter son lait. Ses revenus dépendent du marché intérieur (actuellement environ 320 EUR/1 000 l) et du marché mondial (220 EUR/1 000 l).
« La laiterie nous a sollicités pour savoir si d'ici 2020 on voulait augmenter notre production », note Jean-Jacques. En 2020, ses installations auront 30 ans d'âge, lui sera proche de la retraite. L'agriculteur, qui appuie sur l'importance de « bien gérer ses investissements », aura alors davantage de recul sur la vie sans quotas, tout en sachant davantage quelle direction son fils de 18 ans, bien parti pour lui succéder, voudra donner à l'exploitation familiale.
Julien Eynard